Eugène Ionesco

Eugen Ionescu naît le 26 novembre 1909 (le 13 selon le calendrier orthodoxe) à Slatina (Roumanie) située à 150 km de Bucarest. De nombreuses sources situent sa naissance en 1912. L'erreur est due à une "coquetterie" de l'auteur. Celui-ci a confié a Emmanuel Jacquart (peut-être le biographe le mieux documenté d'Ionesco et à qui je dois bon nombre d'informations dans cette page) s'être rajeuni de trois années après avoir lu une déclaration du critique Jacques Lemarchand qui, à l'aube des années 50, saluait l'avènement d'une nouvelle génération de jeunes auteurs, parmi lesquels figuraient Ionesco et Beckett!
Son père, juriste roumain, s'appelait également Eugen Ionescu. Sa mère était française et s'appelait Thérèse Ipcar. Peu de temps après la naissance d'Eugène, la famille s'installe à Paris, où le père poursuit ses études et devient par la suite docteur de la Faculté de Droit de Paris.
Naissance de la petite soeur d'Eugène le 11 février 1911 (un an plus tard naît un petit frère, Mircea qui meurt à l'âge de 18 mois suite à une méningite). En 1914, il habite Square Vaugirard. A l'âge de quatre ans, il est déjà grand amateur de Guignol.
Son père retourne à Bucarest en 1916, au moment où la Roumanie entre en guerre. Mais sa femme et les petits enfants restent à Paris et doivent se débrouiller seuls, mais toutefois avec le soutien des grands-parents maternels des enfants. Après la fin de la Grande Guerre, on n'a toujours pas de nouvelles du père, et on le croit mort au combat.
A la fin de la guerre, la mère et ses enfants habitent l'hôtel du Nivernais, rue Blomet (au 4e, puis au 6e étage) dans le 15e arrondissement. La santé d'Eugène étant fragile, sa mère le met en pension à la campagne, à La Chapelle Anthenaise (Mayenne), où il reste de 1917 à 1919 avec sa petite soeur, Marilina. Dans les écrits de Ionesco, cette période fut la période la plus paisible et harmonieuse de sa vie.
Sa soeur et lui retournent à Paris et habitent maintenant un appartement exigu, sombre et humide rue de l'Avre, Paris XVe, avec la mère et les grands-parents. Il y écrit une pièce "héroïque" en deux actes (32 pages d'un cahier d'écolier) et un scénario comique. Ces textes sont malheureusement perdus. Il fréquente l'école de la rue Dupleix
En fin de compte, son père n'était pas mort au front. Il n'avait même pas du tout été soldat, mais avait obtenu un poste d'inspecteur de la sûreté à la police de Bucarest. En 1917, il se remarie et la même année il devient inspecteur général. Il s'était toujours débrouillé pour être du côté du pouvoir changeant (Averesco, Codrianu, la garde de fer, les nazi, les communistes) parce qu'il pensait que le pouvoir a toujours raison. Usant et abusant de sa position dans la police et prétextant que sa femme s'était installée à l'étranger, il avait obtenu le divorce, et même la garde des enfants. Il s'était ensuite remarié et exigeait maintenant que les enfants lui soient remis.
Eugène retourne donc, en mai 1922, en Roumanie avec sa soeur. Il apprend le roumain et fréquente le collège Sfântul Sava (Saint-Sava) de Bucarest et passe ensuite le baccalauréat au lycée de Craiova en 1928.
Les relations avec la famille du père n'était pas bonne. Surtout pas avec la belle-mère qui n'aimait pas les enfants et avait fini par chasser la soeur d'Eugène qui est retournée vivre avec sa mère, qui s'était installée à Bucarest. Son père, qui était pourtant riche, n'a jamais accepté de payer de pension alimentaire pour elle.
En 1926, Eugène quitte la maison paternelle après une dispute violente et retourne également vivre avec sa mère, qui travaille maintenant comme employée de banque à Bucarest. Lorsque Marilina abandonne le lycée, sa mère la fait engager comme dactylo à la banque. Marilina passera tout le reste de sa vie en Roumanie. Elle se marie deux fois et n'a pas d'enfants. Elle n'entretient très peu de contacts avec Eugène après son retour en France en 1938.
Eugène a une chambre meublée chez la soeur de son père. Celui-ci lui donne de l'argent de temps en temps et use de ses relations pour lui faire attribuer une bourse d'études. Il insiste pour que son fils soit ingénieur, mais Eugène s'intéresse plus à la littérature et à la poésie.
En 1928, il débute comme poète dans Bilete de papagal (Billets de perroquet), revue quotidienne, fameuse par son format minuscule et prépare, de 1929 à 1933, une licence de français à l'Université de Bucarest. Il écrit son premier article (sur Ilarie Voronca) dans la revue Zodiac en 1930. Il fait connaissance de Rodica Burileanu, étudiante en philosophie et en droit.
En 1931, il écrit Elegii pentru fiinte mici (Elégies pour des êtres minuscules), plaquette de vers, influencés par Francis Jammes.
Entre 1928 et 1935, il écrit des articles dans les revues Vremea (Le Temps), Azi (Aujourd'hui), Floarea de Foc (La Fleur de Feu), Viata Literara (La Vie Littéraire), România Literara (La Roumanie Littéraire), l'hebdomadaire anti-fasciste Critica, Axa (l'Axe), Fapta (Le Fait), Ideea, Româneasca et Zodiac.
1933 Collaboration à Facla (Le Flambeau) et à l'Universul Literar (L'Univers littéraire).
1934 Nu (Non), (articles et de pages de journal). Ce recueil d'essais critiques contestataires provoque un énorme scandale dans le monde littéraire roumain, par son action destructrice, subversive, menée avec beaucoup de verve et de sarcasme, contre les valeurs consacrées de la littérature roumaine: Tudor Arghezi, Ion Barbu, Camil Petrescu, Mircea Eliade. Le volume reçoit un prix des éditions des Fondations royales, accordé par un jury présidé par le critique et théoricien de la littérature Tudor Vianu.
Le 8 juillet 1936: Mariage avec Rodica Burileanu. Voyage de noces à Constanza et en Grèce. Trois mois plus tard, sa mère meurt d'une congestion cérébrale. Eugène travaille maintenant comme professeur de français à Cernavoda. Il professe au séminaire orthodoxe de Curtea de Arges, puis au séminaire central de Bucarest. Il est détaché au Ministère de l'Education nationale où il dirige le service des relations avec l'étranger.
De 1937 à 1938, il assure la rubrique critique de la revue Facla. Ecrit aussi dans Universul Literar, le quotidien culturel Rampa (La Rampe), Parerile Libere (Opinions libres).
A propos de son père: "la dernière fois que je l'ai vu, j'avais terminé mes études... j'étais marié... Il respectait l'Etat, je détestais l'Etat. Il m'avait traité d'enjuivé - il vaut mieux être enjuivé que con!"
Son article "Le vocabulaire de la critique", paraît dans Vremea en 1938. La même année, il obtient une bourse du gouvernement roumain pour préparer à Paris une thèse (jamais terminée) sur : Le thème du péché et le thème de la mort dans la poésie française depuis Baudelaire. A Paris, il s'intéresse aux écrits d'Emmanuel Mounier, Berdiaev, Jacques Maritain, Gabriel Marcel.
1939 Il rencontre Henri Thomas et le groupe de la revue Esprit. Voyage à Marseille (rapports avec les Cahiers du Sud et Léon-Gabriel Gros). Envoie de Paris des correspondances à la prestigieuse revue mensuelle littéraire et scientifique Viata Româneasca (La Vie roumaine). Retourne en visite à la Chapelle-Anthenaise.
A la déclaration, la même année, de la 2e Guerre mondiale, il retourne en Roumanie. Il travaille comme professeur de français au lycée Sfântul Sava de Bucarest. Vu la situation en Roumanie, qui était pourtant vaincue et occupée, il regrette amèrement d'avoir quitté la France et après de nombreuses tentatives échouées, il retourne finalement, en mai 1942, en France avec sa femme, grâce à des amis qui l'aident à se procurer des papiers. Ils habitent d'abord à l'Hôtel de la Poste à Marseille. Grandes difficultés financières. Il traduit et préface le roman Urcan Batrânul (le Père Urcan) de Pavel Dan (1907-1937). Eugène Ionesco est nommé aux services culturels de la Légation royale de Roumanie à Vichy. Il finira attaché culturel. Sa fille Marie-France naît le 26 août 1944.
En mars 1945, ils s'installent 38, rue Claude-Terrasse, Paris 16e (où ils résideront jusqu'en 1960). La vie était difficile et le travail précaire en cette période. Il travaille comme correcteur dans une maison d'éditions administratives. De 1945 à 1949, il traduit les oeuvres de Urmoz (1883-1923), poète roumain, précurseur du surréalisme, de la littérature de l'absurde et de l'anti-prose. La famille Ionesco reçoit, pendant cette période, un secours financier d'une parente.
Son père meurt en octobre/novembre 1948 (12 ans après sa mère).
Il commence, en 1948, à écrire la pièce qui sera intitulée La Cantatrice Chauve, et qui sera représentée pour la première fois au Théâtre des Noctambules, le 11 mai 1950, dans la mise en scène de Nicolas Bataille. Ce fut loin d'être un succès. Seuls une poignée d'intellectuels l'appréciaient et l'appuyaient. Ionesco fréquente Breton, Buñuel, Adamov et Mircea Eliade. Il se fait naturaliser français.
Le 4 août 1950, Ionesco joue le rôle de Stepan Trofimovitch dans Les Possédés de Dostoïevski, mis en scène de Nicolas Bataille. Il adhère, par goût de la drôlerie, de l'aventure et du nihilisme, au Collège de Pataphysique (avec Boris Vian, Raymond Queneau, Jacques Prévert, Marcel Duchamp et Michel Leiris). Grand nombre de ses oeuvres seront publiées dans les Cahiers du Collège de Pataphysique.
1958 fut l'année de la "Controverse londonienne" où Ionesco défend son théâtre et sa vision du théâtre dans une virulente polémique avec le critique anglais, Kenneth Tynan du Observer.
En 1959, il participe aux entretiens d'Helsinki sur le théâtre d'avant-garde. La même année, il reçoit le prix de la critique au Festival de Tours.
De 1960 à 1964, les Ionesco résident 14, rue de Rivoli, Paris 1er.
Il est consacré Chevalier des Arts et Lettres en 1961 et reçoit en 1963 le Grand Prix Italia pour la version ballet de La Leçon.
1965 Voyage à bord du France, au cours duquel est représenté Délire à deux, mis en scène par Nicolas Bataille.
1966 Conférence-spectacle au Théâtre de France, au cours de laquelle Maria Casarès, Jean-Louis Barrault et Ionesco lisent des textes inédits. La même année, il reçoit le Grand Prix du Théâtre de la Société des Auteurs pour toute son oeuvre.
Le 8 mai 1969, il reçoit le Prix littéraire prince Pierre de Monaco et la médaille de Monaco, et en décembre le Grand Prix national du théâtre.
1970, 22 jan. Election à l'Académie française, au fauteuil de Jean Paulhan. et devient Chevalier de la Légion d'Honneur. Il reçoit également le Grand Prix autrichien de la littérature européenne.
1971, 25 fév. Réception à l'Académie française. Discours de réception d'Eugène Ionesco et réponse de Jean Delay.
Ionesco prononce le discours d'ouverture du festival de Salzbourg en 1972.
Le 30 avril 1973, il reçoit le prix de Jérusalem pour l'ensemble de son oeuvre et notamment "Rhinocéros", et, en juin, la médaille de la ville de Vichy.
En 1974, il devient docteur honoris causa de l'Université de Warwick (UK) et en mars 1975 de l'Université de Tel-Aviv.
Il reçoit la médaille Max Reinhardt en août 1976 lors de la célébration du 50e anniversaire du festival de Salzbourg. En novembre il assiste, avec Tom Bishop, Emmanuel Jacquart, Françoise Koutilsky et Rosette Lamont, à une table ronde à l'Université de New York, devant 900 personnes.
Décade Ionesco à Cerisy-la-Salle du 3 au 13 août 1978 que le dramaturge honorera de sa présence pendant quelques jours. Colloque organisé par Marie-France Ionesco et Paul Vernois. Pendant une dizaine de jours, un grand nombre de spécialistes de Ionesco se sont retrouvés dans un château en Normandie (Claude Abastado, Roger Bensky, Mircea Eliade, Martin Esslin, Henri Gouhier, Jeanyves Guérin, Gelu Ionesco, Emmanuel Jacquart, Pierre Larthomas, Michel Lioure, Yves Moraud, Jean Onimus, Michel Pruner, Paul Vernois, Colette Weil). Les communications furent publiés sous le titre Ionesco: Situation et perspectives. L'auteur de ce site internet y assista également sur invitation personnelle d'Eugène Ionesco.
En janvier/février 1982, Ionesco donne une conférence à l'Université de Bonn où il reçoit les insignes de l'ordre du Mérite allemand.
Le 15 décembre 1982: représentation de Freshwater au Centre Georges-Pompidou, pour fêter le centenaire de la naissance de Virginia Woolf. Adaptation et mise en scène de Simone Benmussa, avec la distribution suivante: Jean-Paul Aron, Florence Delay, Guy Dumur, Viviane Forrester, Eugène et Rodica Ionesco, Alain Jouffroy. La pièce sera reprise plusieurs fois: les 20 et 21 oct. 1983 à la New York University (où s'ajoutent à la distribution: Erika Kralik, Joyce Mansour, Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute, S. Wilson), le 7 nov. 1983 au Théâtre du Rond-Point, les 26 et 27 nov. 1983 à Londres, au Riverside, et les 4-5 juillet 1984 au festival de Spoleto.
Les 21-23 avril 1983, à la septième réunion de l'Académie américano-roumaine des Arts et des Sciences, à Davis, en Californie, présidée par Richard Coe, Ionesco est l'invité d'honneur. Participent également Martin Esslin et Emmanuel Jacquart.
La santé d'Eugène Ionesco reste fragile. En février 1984 il est hospitalisé et reste dans un coma diabétique pendant deux jours. Il effectue cependant, plus tard la même année, des voyages et donne des conférences dans plusieurs pays d'Europe et aux Etats-Unis. Il devient Officier de la Légion d'Honneur.
Le 16 avril 1985, Ionesco reçoit deux médailles, celle de la Mayenne et celle de la Flèche, sous-préfecture de la Sarthe. En mai, il reçoit le prix International d'Art contemporain de Monte-Carlo. Il est membre du jury de la Biennale du film à Venise.
En 1986, il reçoit le prix T. S. Elliot-Ingersoll pour une écriture créative à Chicago, en présence de Saul Bellow et Mircea Eliade. Il se rend ensuite à Berne où il participe activement à une réunion en faveur des droits de l'homme. En juillet, il peint à Saint-Gall, en Suisse. Il y retourne pour peindre en février 1987.
Le 23 février 1987, le Théâtre de la Huchette fête le trentième anniversaire du Spectacle Ionesco, en présence d'Eugène et Rodica Ionesco ainsi que des comédiens qui, au fil des ans, se sont relayés pour jouer La Cantatrice Chauve et La Leçon. En mars, il reçoit la médaille de la ville de Paris et en octobre deux médailles d'or: celle de Saint-Etienne et celle de Saint-Chamond.
En février 1989, Eugène Ionesco est de nouveau hospitalisé, ce qui l'empêche d'intervenir en personne pour défendre les droits de l'homme en Roumanie. Sa fille lit son réquisitoire contre le régime roumain à sa place. Début mars, 710 écrivains, dont Ionesco et Beckett, signent une déclaration pour soutenir le droit de tous à s'exprimer. Le 7 mai, Eugène Ionesco et Jacques Mauclair reçoivent chacun un Molière. Le 30 décembre, Ionesco et Cioran deviennent membres d'honneur de l'Union des écrivains.
Le 27 nov. 1992, l'Université de Silésie, Uniwersytet Slaski, Katowice, Pologne, décerne à Eugène Ionesco le titre de docteur honoris causa. La cérémonie a lieu à Paris.
Ionesco était membre du C.I.E.L. (Comité des intellectuels pour l'Europe des libertés) qui milite pour l'application des Droits de l'homme dans tous les pays et pour la liberté des savants, écrivains et artistes.
Eugène Ionesco meurt le 28 mars 1994 à son domicile à Paris. Il est enterré au Cimetière de Montparnasse.
... mais son oeuvre est toujours là.



L'absurde
Rhinoceros